Les deux facettes du ratio cours/bénéfice de Shiller, le problème d’endettement de la Chine et « la négligence à l’égard du dénominateur »

7 min de lecture 31 janv. 18

Sommaire: L’année dernière, Stuart Rhodes avait rédigé un article détaillant certains des défis que représentait le fait de se fier uniquement au ratio cours/bénéfice de Shiller comme outil de valorisation des actions. Ce débat a été largement abordé et reste très discutable, étant donné que les actions américaines semblent chères par rapport à leur historique si l’on se base sur toute une série d’indicateurs.

Toutefois, une récente publication de la Réserve fédérale de San Francisco a mis en évidence un élément intéressant du débat. En plus de faire écho à nos propres observations sur la nature des régimes, les auteurs soulignent également les caractéristiques importantes du dénominateur de l’indicateur. Le ratio cours/bénéfice de Shiller correspond au cours actuel d’un indice divisé par la moyenne des bénéfices réels sur les dix dernières années.

Il y a dix ans, l’économie américaine s’apprêtait à entrer dans l’une des pires récessions de l’histoire moderne, mais dans deux ans, les effets de cette récession auront quasiment disparu de la moyenne des bénéfices réels utilisée dans le calcul du ratio de Shiller. Même si les bénéfices réels et les cours n’évoluaient pas aux États-Unis pendant les douze prochains mois, le ratio cours/bénéfice de Shiller indiquerait toujours des valorisations de plus en plus abordables sur le marché grâce à l’effet de la moyenne sur dix années glissantes (comme l’illustre la ligne rouge en pointillé dans le graphique 1).

Est-ce équitable ? Si l’objectif d’un ajustement cyclique des bénéfices est de renvoyer une image plus pérenne de la capacité bénéficiaire des entreprises, est-ce malhonnête d’édulcorer les effets de la dernière récession de grande ampleur ? Après tout, il n’est pas déraisonnable de considérer qu’une crise intervient environ tous les dix ans sous une forme ou sous une autre.

Quoiqu’il en soit, cette observation met en évidence la réalité selon laquelle lorsque l’on analyse un indicateur censé nous éclairer sur les cours, on peut être tenté d’éluder l’autre volet de l’équation. Cela peut s’avérer problématique lorsque c’est le dénominateur qui détermine principalement les niveaux actuels.

Et il convient de rappeler à quel point l’impact de la crise a été préjudiciable aux bénéfices des entreprises.

Le ratio de Shiller utilise les données liées aux publications de bénéfices présentes dans le graphique de gauche, qui intègrent des facteurs « provisoires » comme les dépréciations. Cela semble particulièrement grave, mais même les bénéfices d’exploitation ont enregistré leur pire creux en plus de 30 ans.

Cela pourrait évidemment se reproduire, et il est sans doute plus urgent de savoir si oui (et quand) plutôt que de savoir si les actions sont survalorisées ou non.

Nous devons déterminer si le fait de comparer un indicateur de valorisation qui tient compte d’un tel effondrement de son dénominateur avec des périodes qui n’en tiennent pas compte est réellement équitable. Il convient également de s’interroger pour savoir si une période de dix ans n’est pas relativement arbitraire (surtout si le phénomène « de bulle puis d’éclatement » a été remplacé par celui de « marche forcée puis de crash » ou si la nature des entreprises présentes au sein d’un indice fait qu’elles sont plus ou moins exposées à la dynamique cyclique).

La négligence à l’égard du dénominateur

Globalement, je pense que cet exemple illustre une tendance généralisée à ne pas se pencher suffisamment (ou du moins à ne pas accorder suffisamment d’importance dans la presse) sur les dénominateurs de certains ratios financiers/économiques étant donné la façon dont ces indicateurs sont construits et les raisons pour cela. Tout ceci renvoie à un concept de finance comportementale baptisé « négligence à l’égard du dénominateur », selon lequel les gens évaluent mal les probabilités puisqu’ils accordent plus d’attention à l’aspect le plus marquant d’un ratio (par exemple le nombre de fois où l’on gagne en éludant le nombre de fois où l’on perd).

Dans de nombreux indicateurs, la variable considérée est généralement le numérateur, tandis que le dénominateur n’est là que pour permettre de contextualiser/comparer différents cas. Étant donné que le ratio cours/bénéfice de Shiller est conçu pour déterminer l’évolution des cours, il est normal que les utilisateurs privilégient cette variable et éludent le fait que même un simple ratio cours/bénéfices est conditionné par une hypothèse sous-jacente reposant sur la croissance des bénéfices. Si votre ratio cours/bénéfice reste inchangé et que les bénéfices continuent d’augmenter à un rythme de 6 % à long terme, alors la valeur de votre investissement doublera en moins de 12 ans – que le ratio semble onéreux ou pas.

Le problème d’endettement de la Chine

Une illustration intéressante est celle de la mesure de l’endettement par le ratio dette/PIB. Par exemple, on considère généralement que la Chine a un problème d’endettement. L’endettement est souvent cité comme une source probable de problèmes économiques, et fait régulièrement l’objet de discussions visant à déterminer si et quand il provoquera un atterrissage dit « brutal » de l’économie chinoise.

Mais ce genre de débat fait généralement abstraction de l’alternative à un défaut de paiement généralisé, à savoir la résolution de la question de la viabilité de la dette. Si la croissance nominale est supérieure à la croissance de la dette, alors à terme les ratios d’endettement diminueront. C’est ce qu’on peut observer dans les dernières statistiques publiées puisque la hausse récente de la croissance nominale chinoise a entraîné une stabilisation puis un léger repli du niveau d’endettement combiné des ménages et des entreprises. Si cette tendance devait se poursuivre, les ratios d’endettement commenceraient à baisser.

Je ne suis pas en train de dire que cela va se produire. Je souligne seulement que les analystes mentionnent rarement que la courbe ci-dessus pourrait simplement finir par se normaliser grâce à la croissance. On en parle beaucoup moins car c’est en général la composante dette qui suscite l’inquiétude, mais on devrait au moins réserver une place à cette hypothèse dans la distribution des probabilités.

De la même façon, il faut nécessairement tenir compte du taux d’intérêt à payer lorsqu’on se penche sur le niveau de l’endettement. L’interprétation du coefficient d’endettement d’un ménage sera très différente selon que le taux de son prêt immobilier s’élève à 25 % ou à 2 % par an.

Chaque ratio possède deux facettes

L’une des raisons pour lesquelles nous créons des indicateurs de valorisation est de pouvoir disposer d’outils capables d’amener une certaine rigueur et d’éviter la tentation naturelle de s’enthousiasmer un peu trop vite. Toutefois, utiliser ces indicateurs pour simplifier à outrance constitue souvent une tentation tout aussi forte.

Notre comportement nous pousse à nous focaliser sur l’aspect le plus marquant d’un ratio, comme le cours plutôt que le bénéfice ou la dette plutôt que le PIB. Après tout, ce sont les composantes que ces ratios étaient censés analyser lorsqu’ils ont été créés.

Mais cette analyse est incomplète. Il convient de ne pas perdre de vue que tout ratio possède deux facettes (sans compter la diversité des forces qui stimulent chacune d’entre elles), et que le fait de privilégier seulement l’une d’entre elles peut être trompeur et potentiellement dangereux.

 

Rédigé par Alex Houlding

La valeur des investissements peut fluctuer et ainsi faire baisser ou augmenter la valeur liquidative des fonds. Vous pouvez donc ne pas récupérer votre placement d'origine.

Actualités associées