Comment les investisseurs ESG doivent-ils envisager les emprunts d’État ?

8 min de lecture 20 mai 19

Sommaire: Il est souvent plus facile de conceptualiser les critères ESG en matière d’investissements dans des entreprises. Les activités d’une entreprise sont souvent relativement restreintes et établir un lien direct entre l’entreprise et les activités que nous ne cautionnons pas (la pollution, les jeux, le tabac, les boissons alcoolisées, etc.) ou celles que nous défendons (la santé, l’éducation, les ressources renouvelables) est généralement relativement aisé.

En revanche, investir dans des emprunts d’État soulève des questions qui peuvent être relativement complexes. Lorsque Goldman Sachs a acheté des emprunts d’État vénézuéliens en 2017, la société a été condamnée pour avoir soutenu un régime mal vu, tandis que durant d’autres crises, les investisseurs ayant vendu des emprunts d’État (les « bond vigilantes » originaux) ont parfois été considérés comme punissant la population locale et portant atteinte au droit à l’autodétermination.

Toutefois, une telle complexité n’est pas une raison pour éviter tout investissement dans les emprunts d’État. D’une part, il est clair que les États ont un rôle considérable à jouer de manière à influer sur ces mêmes forces qui préoccupent le plus les investisseurs ESG. D’un point de vue financier, il s’agit également d’une classe d’actifs qui peut jouer un rôle clé en matière de génération de performance et de gestion du risque de portefeuille, que ce soit par le biais de positions à duration longue ou courte. Cela est particulièrement important pour les fonds diversifiés qui cherchent à offrir des caractéristiques de performance et de volatilité spécifiques et stables dans divers environnements.

Gérer la complexité. Où pouvons-nous faire la différence ?

Compte tenu de la multiplicité de leurs activités, aucun État ne sera jamais irréprochable du point de vue le plus strict des enjeux ESG. Les dépenses de défense en sont un exemple évident, tout comme le sont les pays qui dépendent grandement de la production de combustibles fossiles.

Dans le même temps, de nombreuses dépenses publiques sont consacrées à l’amélioration du niveau de vie. Si l’on prend l’exemple des États-Unis, bien qu’ils aient les dépenses de défense les plus importantes connues de tous les pays, la plupart de leurs dépenses (selon les estimations approximatives actuelles) sont encore consacrées aux services sociaux. Les travaux de David McCandless sur la visualisation des données permettent d’en savoir plus en mettant ces informations en context.

A cette seule lumière, il semble inapproprié d’exclure les emprunts d’État américains simplement parce qu’un gouvernement exerce une activité qui peut ne pas concorder avec les objectifs ESG, de la même manière que nous le ferions avec une entreprise.

Nous devons plutôt nous demander si l’impact final des dépenses publiques est bénéfique. Cela peut être difficile, mais cela ne doit pas pour autant servir d’excuse pour faire l’impasse dessus.

Agnosticisme politique

Comme l’illustre l’exemple vénézuélien, investir dans des emprunts d’État risque d’être perçu comme un aval donné à un point de vue politique ou un soutien à un régime en place. Selon nous, nous ne devons jamais chercher à faire comme tel. En premier lieu, nous pensons qu’il est important de toujours chercher à respecter les différences d’opinion et de se montrer humbles quant à sa capacité à « connaître la réponse » à la façon dont les sociétés doivent être dirigées.

Comme l’illustre le graphique ci-dessous (qui est basé sur la méthodologie des notations ESG des États de MSCI), l’évaluation des institutions au regard de la corruption, de l’état de droit et des droits de l’homme est une partie importante du « G dans les critères ESG ».

Toutefois, tout comme la décision d’investissement doit être exempte de biais, ces évaluations de la gouvernance doivent également être aussi exemptes que possible de convictions politiques. Comme nous l’avons déjà écrit, il semble que des opinions politiques polarisées peuvent être une source de biais dans la prise de décision d’investissement, comme c’est le cas dans tout autre domaine. Les réactions émotionnelles à des questions spécifiques ou à des individus particuliers ne sont d’aucune utilité et adopter une position politique à l’égard d’un investissement peut être préjudiciable aux performances. Même si la distinction peut être floue, nous devons nous efforcer d’éviter de laisser des opinions politiques influencer les évaluations des structures de gouvernance et institutionnelles.

Études de cas

Comment appliquer certaines de ces réflexions ? L’environnement actuel fournit quelques exemples utiles. En particulier, trois pays émergents pourraient être considérés comme très intéressants en matière d’investissement, mais dès lors que l’on tient compte des critères ESG, deux d’entre eux le deviennent beaucoup moins. Il peut être difficile de se forger de tels jugements dans des pays où les données disponibles sont plus rares et où la transparence est en général médiocre.

La Colombie a été l’un des principaux acteurs de la durabilité sur la scène internationale et a prêté son concours à l’élaboration des Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. A l’inverse, bien que l’Indonésie ait reçu une note ESG globale de BB par MSCI et en dépit de l’attractivité de ses fondamentaux, le pays semble manquer à la fois de politiques environnementales suffisamment fermes concernant l’huile de palme et d’autres contrôles environnementaux aux niveaux national et international. L’Egypte est quant à elle confrontée à des problèmes du point de vue de la gouvernance sociale : indépendamment de toute opinion sur le régime en place, les structures institutionnelles existantes sont telles que des organisations comme Freedom House (une organisation indépendante qui mesure et analyse des indicateurs de liberté dans le monde) considèrent la nation comme l’une des moins libres au monde.

Chaque État va de pair avec ses propres forces qui doivent être prises en compte en plus des forces traditionnelles telles que les influences inflationniste, monétaire et de change.

Conclusion

Le graphique 2 illustre l’éventail des aspects devant être pris en compte dans l’évaluation des emprunts d’État au regard des critères ESG. Les agences de notation comme MSCI (qui fournissent des notations ESG distinctes des notations de crédit traditionnelles) peuvent aider à évaluer ces facteurs. Toutefois, il convient de les compléter par des considérations qualitatives et d’autres données telles que celles qui suivent :

Fait important, il existera également de nombreux éléments communs entre les facteurs ESG et financiers. De nombreuses forces liées à la gouvernance auront une influence sur la capacité et la volonté des États de rembourser leur dette ou sur les niveaux d’inflation prévus dans une économie. Le niveau de vie, la santé et l’éducation auront d’énormes répercussions sur la productivité, et donc sur le rythme de la croissance, d’une économie sur le long terme.

Il pourrait être facile de ne voir dans les enjeux environnementaux qu’un problème trop éloigné. Mais, dans la mesure où le changement climatique et les conditions météorologiques extrêmes sont susceptibles d’avoir des conséquences très réelles sur la croissance et où des pays comme le Mexique ont récemment émis des obligations à 100 ans, une telle opinion devient beaucoup moins courante.

Si évaluer des emprunts d’État au regard des enjeux ESG peut certes s’avérer plus difficile que pour des entreprises, le rôle qu’ils jouent est en définitive trop crucial pour être ignoré : à la fois en termes d’opportunités d’investissement et, surtout, au niveau de leur contribution au visage qui sera celui du monde de demain.

Rédigé par Maria Municchi

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