Marchés actions : aux Etats-Unis, une dynamique positive mais fragile

4 min de lecture 18 avr. 24

Les dernières semaines ont confirmé l’embellie de la situation économique et financière aux Etats-Unis. Ce sont d’abord les bénéfices du dernier trimestre 2023 qui ont surpris par leur qualité, avec une progression de près de 8% par rapport au même trimestre de l’année précédente pour les entreprises du S&P 500 (1). Les chiffres économiques ne sont pas en reste avec des indicateurs d’activité qui témoignent d’une croissance toujours forte, l’indice S&P Global US Services PMI s’établissant en février à 52.30 et le S&P Global US Manufacturing PMI à 52.20. Les créations d’emplois demeurent au rendez-vous avec 275 000 emplois nets créés le mois dernier.

Comment expliquer la vigueur de l’économie américaine et des bénéfices alors même que la brutale remontée des taux d’intérêt aurait dû finir par produire ses effets négatifs ? On aurait également pu s’attendre à ce que le discours plus ferme de la FED ces dernières semaines vienne tempérer l’optimisme des marchés des actions. En effet la Réserve Fédérale n’a pas marqué d’empressement à baisser ses taux, et ce d’autant plus que les dernières publications d’inflation, sans être inquiétantes, ne sont pas pour autant convaincantes avec une inflation sous-jacente à hauteur de + 3.75% sur les 12 derniers mois et des progressions mensuelles encore soutenues, à +0.4% en janvier et février.

Les politiques budgétaires qui sont venues prendre le relais des politiques monétaires apparaissent comme un des éléments explicatifs : pendant que la FED cherchait à ralentir l’économie, le gouvernement américain dépensait sans compter pour pousser la croissance, avec un déficit encore estimé à près de 6.5% du PIB en février 2024. C’est sans doute un facteur explicatif du peu d’impact des taux d’intérêt sur l’activité économique. Il est d’ailleurs assez consensuel de penser que nous entrons dans une ère de déficits structurels avec les besoins de financement grandissants liés à la transition énergétique, la défense, la réindustrialisation et au vieillissement de la population. Ainsi le Congress Budget Office (CBO) voit le déficit de l’Etat fédéral se maintenir annuellement au-delà de 5% pour la décennie qui vient et le ratio dette/pib des USA atteindre 172% en 2054 (2).

Les marchés ne s’inquiètent pas de ces déficits et de l’endettement qui en résulte, faisant le pari que les dépenses seront productives. Il est par ailleurs vrai que l’appétit des marchés pour les dettes souveraines est fort, comme en témoigne encore récemment le souhait des marchés européens de voir l’Union Européenne émettre de la dette visant à financer les dépenses de réarmement (3), dans un contexte où l’épargne excédentaire demeure élevée. François Villeroy de Galhau l’indiquait récemment (4) : « Il y a bien sûr de gros besoins d’investissements dans l’économie française, (..) en particulier, sur les deux « grandes transformations » en cours : la transformation numérique, y compris l’intelligence artificielle, et la transition verte. Face à ces besoins de financement, nous avons une ressource abondante, l’épargne privée. (..) Ceci m’amène à la dimension européenne, pour terminer. Là aussi la ressource est abondante. Il y a un excédent d’épargne en 2023 de 370 milliards d’euros à l’échelle européenne, c’est-à-dire 2,6 % de notre PIB ». La relative faiblesse des taux de marché au regard de la situation financière des Etats et des risques persistants d’inflation s’explique sans doute en partie par cette abondance de capitaux à placer en produits de taux.

Dans ces conditions le spectre de la récession s’éloigne toujours plus, et les résultats exceptionnels de Nvidia (5) sont venus conforter le marché des actions dans l’idée que l’IA pourrait être un formidable accélérateur de croissance économique et de bénéfices pour la décennie qui vient, ce qui a propulsé les multiples de valorisation sur les bénéfices à 12 mois vers des sommets, à près de 21 pour le S&P 500 et de 14 pour l’Eurostoxx 50. C’est vrai que les prévisions sur l’impact de l’IA sont impressionnantes. Dans le cas de la France, le rapport sur l’IA remis récemment au gouvernement prévoit que « la France pourrait même enregistrer aux alentours de 1,35 % de croissance annuelle additionnelle liée à l'IA d'ici à 2034 » (6).

Ainsi la question de l’inflation et du niveau des taux, déterminante pendant de nombreux mois pour les marchés des actions, est passée complètement en arrière-plan. On peut expliquer la hausse récente des marchés des actions par de bons résultats économiques et financiers (poussés notamment par une stimulation budgétaire significative qui est venue contrecarrer la hausse des taux directeurs), la thématique de l’intelligence artificielle, des anticipations d’une inflation maîtrisée à moyen terme, et enfin l’idée que les tensions géopolitiques seront circonscrites. Ajoutons pour finir que la hausse des valorisations a provoqué le regain de confiance du consommateur américain : un cercle vertueux s’est installé.

La dynamique actuelle des marchés des actions est donc fondée mais en même temps fragile, tant les facteurs énumérés plus hauts peuvent décevoir à l’avenir. Les prévisions sur l’impact de l’IA en termes de productivité seront-elles validées ? L’inflation sera-t-elle vraiment durablement maîtrisée dans un contexte de transition énergétique, de protectionnisme accru et de tensions militaires ? Les déficits et les dettes stimuleront-ils suffisamment la productivité pour ne pas créer des déséquilibres financiers significatifs ? Les tensions géopolitiques vont-elles continuer à prendre de l’ampleur ? A ce stade le marché des actions ne semble pas intégrer ces incertitudes dans la prime de risque qu’il exige.

Achevé de rédiger le 20 mars 2024

  • Toutes les données mentionnées dans cet article proviennent de Bloomberg, à l’exception de celles précisées dans les notes suivantes.
  • Congressional Budget Office (CBO) : budget outlook 2024 2034
  • Bloomberg, 10 mars 2024, Bond Investors Are Lining Up to Fund the War Against Putin
  • Audition de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, devant la commission des Finances du Sénat, 17 janvier 2024
  • Nvidia triple ses ventes et reprend sa marche folle en Bourse, Les Echos 21 février 2024
  • Les Echos 13 mars 2024, La France appelée à tripler ses investissements dans l'intelligence artificielle

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