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10 min de lecture 16 avr. 25
Les dividendes des Big Tech et l’importance croissante
accordée à la rémunération des actionnaires en Asie chamboulent les normes
de l’investissement en dividendes. Associant croissance et revenu,
ces tendances renforcent l’attrait de l’investissement en dividendes
tous pays et secteurs confondus. Dominic Howell et Noura Tan en décrivent les nouvelles règles.
L’investissement axé sur les dividendes est aussi vieux que le marché boursier lui-même, puisqu’il remonte au XVIIe siècle, date à laquelle la Compagnie néerlandaise des Indes orientales a pour la première fois distribué une partie de ses bénéfices à ses actionnaires. La beauté de cette stratégie réside dans sa simplicité : investir dans des entreprises bien établies, percevoir des dividendes et soit encaisser l’argent, soit le réinvestir pour détenir davantage d’actions. Investir dans des entreprises qui augmentent régulièrement leurs dividendes peut être particulièrement judicieux, dans la mesure où les dividendes réinvestis peuvent, par effet de composition, permettre une croissance significative du patrimoine au fil du temps. Cette pratique est rapidement devenue une des pierres angulaires de l’investissement, grâce à ses performances tangibles et à l’attrait que représente la perspective d’un revenu régulier.
Traditionnellement, cette stratégie concernait principalement les très grandes entreprises, véritables piliers du marché dans des secteurs tels que les services aux collectivités, les biens de consommation et la finance. Ces entreprises, connues pour la solidité de leur bilan et la régularité de leurs bénéfices, étaient capables de résister aux fluctuations économiques et de rémunérer leurs actionnaires de manière fiable et régulière. En revanche, les entreprises de plus petites tailles et à forte croissance avaient tendance à éviter de verser des dividendes, préférant réinvestir leurs capitaux dans leur propre activité. Ceci a sans doute alimenté la croyance erronée selon laquelle revenus et croissance du capital étaient des stratégies mutuellement exclusives.
Mais en est-il toujours ainsi ?
L’avènement des dividendes parmi les grandes entreprises technologiques marque un véritable tournant par rapport aux normes historiques. Microsoft a ouvert la voie en 2003, suivi par d’autres, comme Alphabet (la société mère de Google) et Meta Platforms, propriétaire de Facebook, qui ont rejoint les rangs en 2024. Autrefois synonymes de forte croissance et de réinvestissement des bénéfices, ces géants de la technologie adoptent désormais une approche plus favorable aux actionnaires. Largement pourvus en liquidités, ils disposent des moyens nécessaires pour verser des dividendes et continuer à investir, alliant ainsi potentiel de croissance et génération de revenus. Cette évolution vient mettre à mal la perception traditionnelle des valeurs technologiques, considérées uniquement comme des instruments d’appréciation du capital, et introduit une nouvelle dimension dans le champ de l’investissement en dividendes.
Si l’on tient compte des dernières entreprises à avoir rejoint le club, cinq des Sept Magnifiques1 distribuent désormais officiellement des dividendes, à l’exception d’Amazon et de Tesla. L’arrivée sur ce terrain des Big Tech offre de nouvelles opportunités aux investisseurs, élargissant le spectre des entreprises de grande qualité au sein des portefeuilles axés sur les dividendes. Néanmoins, la place croissante des Sept Magnifiques dans les indices actions axés sur les dividendes soulève des questions quant à la viabilité ou la durabilité de cette tendance.
Malgré les rendements traditionnellement faibles du secteur technologique, qui laissent planer un doute sur la pertinence d’intégrer ces entreprises dans une stratégie de dividendes, le taux de croissance des dividendes des entreprises technologiques dépasse régulièrement celui du marché dans son ensemble depuis plusieurs années. Les entreprises technologiques du S&P 1500 ont plus que doublé leur distribution de dividendes entre 2013 et 20232. Ce taux de croissance se classe au quatrième rang parmi tous les secteurs, dépassant largement l’augmentation de 7,2 % des dividendes observée pour le S&P Composite 1500 au cours de la même période3.
“En matière d’investissement dans
des actions à dividendes, un faible
rendement n’est pas nécessairement le
signe d’un mauvais investissement.
Il faut plutôt se concentrer sur la courbe
de croissance des dividendes au fil du temps.”
Pour Stuart Rhodes, gérant de la stratégie M&G Global Dividend, la croissance des dividendes fait office d’« étoile polaire ». Depuis 17 ans, ce principe directeur lui a permis de traverser une multitude de crises et de conditions de marché. « Lorsque des entreprises augmentent chaque année leurs dividendes, l’appréciation du capital s’ensuit inévitablement, ce qui se traduit par de solides performances totales (la combinaison des revenus et de la croissance du capital) », explique-t-il. Pour Stuart Rhodes, dividendes et cours du titre sont inextricablement liés.
Du point de vue de l’investissement, la croissance des dividendes peut être considérée comme une stratégie gagnante. Fin 2024, le S&P 500 Dividend Aristocrats, qui regroupe des entreprises ayant augmenté leurs dividendes pendant au moins 25 années consécutives, affichait une performance totale annualisée de 10,1 % (en dollars américains) sur 25 ans, contre seulement 7,7 % pour le S&P 500 sur la même période. Cela met en évidence l’efficacité de la croissance des dividendes, malgré la volatilité épisodique de l’alpha4.
Stuart Rhodes rappelle que dans les années 1990, beaucoup pensaient que lorsqu’une entreprise technologique versait un dividende, cela signifiait que sa phase de croissance était terminée. « Au cours des dix dernières années, ce sentiment a changé. Les entreprises technologiques génèrent désormais suffisamment de liquidités pour réinvestir, racheter des actions et verser des dividendes. Les préjugés entourant les dividendes des entreprises technologiques se sont estompés » observe-t-il. Comme l’explique Stuart Rhodes, de nombreuses entreprises technologiques versent aujourd’hui des dividendes, signe non pas d’un ralentissement de leur croissance, mais de la robustesse de leur modèle économique. Il note que ces entreprises peuvent se développer sans épuiser leur capital, ce qui en fait des investissements potentiellement exceptionnels.
Pour sa part, John Weavers, gérant de la stratégie M&G North American Dividend, souligne l’importance de s’assurer que l’augmentation des dividendes est due à une véritable croissance de l’entreprise et non à une simple augmentation du ratio de distribution. « Nous cherchons à investir dans des entreprises qui augmenteront leurs dividendes grâce à la croissance de leurs bénéfices. Cette approche s’applique à tous les secteurs, y compris celui de la technologie, où nous recherchons des entreprises offrant de fortes opportunités de réinvestissement », explique-t-il.
Prenant l’exemple de Visa et Mastercard, John Weavers rappelle la croissance à long terme de leurs bénéfices et de leurs dividendes, malgré de faibles rendements initiaux. Depuis son introduction en bourse en 2006, Mastercard n’a, par exemple, jamais affiché un rendement supérieur à 1 %, mais son dividende a augmenté chaque année à un taux composé de 31 %, en parallèle avec la forte performance du cours de l’action, avec un taux de croissance annuel moyen de 31 %. Avec la transition en cours des transactions en espèces vers les transactions numériques, John Weavers estime que la trajectoire de croissance de Mastercard reste prometteuse.
Il souligne que l’un des principaux défis liés à l’influence croissante des Sept Magnifiques dans les indices actions à dividendes est de s’assurer que les stratégies axées sur la croissance des dividendes assurent une diversification efficace des portefeuilles par rapport au marché dans son ensemble. Il met en garde contre la tentation de se concentrer sur les actions individuelles les plus performantes, en rappelant qu’il est essentiel de faire preuve de discipline pour éviter les pièges de la vision à court terme.
En privilégiant la croissance durable des dividendes, les investisseurs peuvent tirer parti des tendances favorables à long terme qui ont historiquement profité aux portefeuilles axés sur la croissance des dividendes. Selon John Weavers, se concentrer sur une croissance régulière des dividendes permet de préserver les avantages à long terme et le potentiel de diversification, renforçant ainsi la capacité de la stratégie à résister aux fluctuations du marché et à générer des performances stables.
L’intérêt croissant que suscitent les entreprises technologiques émettrices de dividendes a également introduit un nouvel élément de réflexion sur l’avenir des secteurs versant traditionnellement des dividendes, tels que la finance et les services aux collectivités. Historiquement, ces secteurs ont constitué la base de portefeuilles axés sur les dividendes, offrant des sources de revenus fiables. Alors que de plus en plus de géants de la Tech intègrent désormais l’univers des dividendes, l’on peut se demander si ces secteurs traditionnels perdront de leur attrait ou s’adapteront pour conserver leur place.
John Weavers répond à cette question en observant que « historiquement, environ 70 % des entreprises du marché américain versent des dividendes, ce qui correspond aux tendances à long terme ».
« L’anomalie est survenue pendant la pandémie de COVID-19, lorsque certaines entreprises ont réduit leurs dividendes et que les nouveaux entrants n’en ont pas versé. Nous sommes maintenant revenus à la tendance à long terme, où beaucoup considèrent les revenus comme un moyen de restituer des liquidités aux actionnaires et de démontrer la solidité des flux de trésorerie », ajoute-t-il.
Cela semble indiquer que les secteurs traditionnels tels que la finance et les services aux collectivités continueront de jouer un rôle important dans les stratégies axées sur la croissance des dividendes.
« L’inclusion des géants de la Tech dans les indices actions à dividendes ne modifie pas fondamentalement la thèse d’investissement. Les investisseurs vont continuer à rechercher les entreprises les plus solides, avec la meilleure croissance et les meilleures valorisations », souligne John Weavers. « Si ce sont les services aux collectivités, les biens de consommation de base ou tout autre secteur qui offrent les valorisations et la croissance les plus attractives, c’est dans ces secteurs qu’il faut investir. »
Comme le souligne John Weavers, le marché est en fait revenu au modèle historique, où le revenu est un élément essentiel de la rentabilité pour les actionnaires.
À ce sujet, Stuart Rhodes note que « l’histoire montre que les dividendes sont un des principaux moteurs de performance des actions à long terme. Au cours des 25 dernières années, près de la moitié de la performance totale des actions américaines a été générée par le réinvestissement des dividendes, grâce à la puissance de la capitalisation à long terme. » Le S&P 500 a généré un rendement total annualisé de 7,7 % (en dollars américains), dont 55,9 % attribuables aux revenus et 44,1 % à la plus-value du capital5.
Un aspect souvent négligé, mais néanmoins indéniable, de l’investissement en dividendes est sa capacité inhérente à servir de couverture efficace contre l’inflation. Investir dans des entreprises qui augmentent régulièrement leurs dividendes offre une protection précieuse contre l’inflation. L’investissement dans les dividendes est une stratégie établie qui dispose d’un atout puissant. Au fil du temps, la recherche disciplinée d’un flux de revenus croissant est soutenue par cette dynamique favorable. En privilégiant la croissance durable des dividendes et la diversification stratégique, la croissance des dividendes peut potentiellement aider les investisseurs à faire face aux fluctuations du marché et à obtenir des performances régulières à long terme.
Alors que l’apparition des entreprises technologiques versant des dividendes bouleverse l’univers de l’investissement, on assiste simultanément à une transformation du paysage des dividendes en Asie, sous l’effet des initiatives stratégiques et des réformes menées sur les principaux marchés. Si les géants technologiques occidentaux adoptent une politique de distribution de dividendes, les marchés asiatiques ne sont pas en reste : les entreprises locales s’attachent de plus en plus à restituer du capital à leurs actionnaires dans un contexte économique difficile.
Ces dernières années, la Chine et le Japon ont mis en place des mesures visant à rendre les entreprises locales plus attractives pour les investisseurs. L’année dernière, les entreprises chinoises ont distribué un montant record de 2 400 milliards de yuans (330,9 milliards de dollars) en dividendes et les rachats d’actions ont quant à eux bondi à 147,6 milliards de yuans (20,3 milliards de dollars)6. Au cours des deux mois qui ont précédé le Nouvel An lunaire en février, plus de 310 entreprises ont distribué des dividendes pour un total de plus de 340 milliards de yuans (46,9 milliards de dollars), soit près de huit fois plus que l’année précédente à la même période7.
Cette tendance résulte d’une série de directives de Pékin, notamment un ajustement des régulateurs pour évaluer les entreprises publiques en fonction du rendement des capitaux propres (ROE), des restrictions sur la vente d’actions par les actionnaires majoritaires des entreprises à faible dividende, un programme de financement de rachat d’actions de 300 milliards de yuans (41,4 milliards de dollars) et des appels aux entreprises pour qu’elles versent des dividendes plusieurs fois par an. Ces mesures ont attiré l’attention sur les entreprises à haut rendement, les dividendes du CSI 300 ayant atteint 3 % (en yuans) en janvier8, le niveau le plus élevé depuis près de dix ans.
Le Japon est également un autre grand marché à surveiller à cet égard. Stuart Rhodes souligne l’énorme impact des Abenomics au cours des 13 dernières années, dont les principaux effets sont devenus évidents au cours des cinq dernières années. « Les données montrent que l’intérêt des actionnaires a pris de l’importance et que des progrès ont été réalisés en matière de dividendes, ce qui indique un changement clair », observe-t-il.
La restructuration de la Bourse de Tokyo (TSE, pour Tokyo Stock Exchange) en 2022, visant à simplifier les segments de marché et à renforcer la compétitivité mondiale, a marqué une étape décisive9 . Cette reclassification a incité les entreprises à améliorer leurs opérations et la valeur actionnariale, attirant ainsi davantage de capitaux sur le marché japonais.
Le taux moyen de distribution de dividendes pour l’exercice se terminant en mars 2025 a augmenté de 3 points de pourcentage par rapport à l’année précédente, s’établissant à 36 %10. Il s’agit du taux le plus élevé depuis quatre ans, un niveau proche de celui de la composante américaine du S&P 500, qui s’élève à 34 %11.
Les entreprises sont désormais également tenues de soumettre des plans d’amélioration de leur ROE au TSE, ce qui a entraîné une forte augmentation des rachats d’actions et des distributions de dividendes. En 2023, les entreprises japonaises ont procédé à des rachats d’actions pour un montant d’environ 960 milliards de yens (6,3 milliards de dollars), établissant un record pour le quatrième exercice consécutif12.
Les États-Unis dominent le marché actions mondial et sont particulièrement prisés des investisseurs en dividendes, mais Stuart Rhodes souligne que les opportunités abondent dans différentes régions. « Le marché américain se distingue par sa taille et le nombre d’entreprises dans lesquelles investir ; il offre une importante liquidité et un vaste choix d’investissements en dividendes. En Europe, de nombreuses entreprises affichent un historique de dividendes remarquable. L’Australie se distingue par ses avantages fiscaux, qui encouragent même les entreprises en croissance à verser des dividendes, ce qui en fait une région exceptionnelle », souligne-t-il.
Malgré ces progrès, la Chine et le Japon sont toujours à la traîne par rapport à leurs pairs mondiaux en matière de distribution moyenne de dividendes. Mais avec les réformes en cours et l’attention croissante portée à la rémunération des actionnaires, il reste une marge de progression importante sur ces deux marchés.
Alors que nous traversons une période de baisse des taux d’intérêt, l’investissement en dividendes reste une stratégie éprouvée pour générer des revenus fiables. Mais le paysage a évolué, avec l’entrée des géants de la technologie dans les portefeuilles axés sur les dividendes, ce qui offre la possibilité de tirer parti de perspectives de croissance importantes et d’améliorer la diversification.
Parallèlement, les initiatives prises en Chine et au Japon créent un environnement plus favorable aux actionnaires, avec une augmentation des dividendes versés et des rachats d’actions. Ces changements laissent présager une croissance prometteuse des dividendes dans la région, en phase avec les tendances mondiales, et renforcent l’intérêt des marchés asiatiques pour les investisseurs axés sur le revenu.
En réfléchissant à l’évolution de l’univers des dividendes au cours de ses 17 années de carrière, Stuart Rhodes constate que « c’était au départ le secteur technologique qui offrait le moins d’opportunités, et le Japon le marché le plus complexe sur lequel en trouver ». Au fil des ans, l’univers des opportunités pour les investisseurs en dividendes s’est élargi. Selon Stuart Rhodes, les investissements potentiels ne manquent pas aujourd’hui, mais il est essentiel de ne pas payer trop cher pour réussir à long terme : “Nous recherchons des investissements performants, pas uniquement des entreprises performantes. La capacité à tirer parti d’opportunités inattendues dans le cadre d’investissements en dividendes reste cruciale."
“Nous recherchons des
investissements performants,
pas uniquement des
entreprises performantes.”
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1 Les Sept Magnifiques désignent un groupe de mégacapitalisations technologiques américaines qui comprend Alphabet, Amazon, Apple, Meta Platforms, Microsoft, NVIDIA et Tesla.
2, 3 ProShares, « Technology Stocks : An Unexpected Source of Dividend Growth », (Les valeurs technologiques : une source inattendue de croissance des dividendes), (proshares.com), septembre 2024.
4 Au 29 novembre 2024.
5 Au 31 décembre 2024.
6, 7, 8 Bureau d’information du Conseil des affaires de l’État, « It's about the stock market! The five departments have spoken out and these contents have been clarified » (À propos du marché actions ! Les cinq départements se sont exprimés et ces contenus ont été clarifiés), (gov.cn), janvier 2025.
10, 11 THE NIKKEI via scoutAsi9a, « Record high of 40% listed companies increasing dividends, 3.6 trillion yen to households as a tailwind for asset building », (Un record de 40 % des sociétés cotées ont augmenté leurs dividendes, 3 600 milliards de yens aux ménages pour favoriser la constitution d’actifs),(market-news-insights-jpx.com), juin 2024.
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